La bataille d’Alger : vérité historique et représentation filmique

La bataille d’Alger fut un événement charnière de la guerre d’indépendance algérienne. Se déroulant dans les petites ruelles et ruelles de la Casbah d’Alger de l’été 1956 à octobre 1957, les combats opposent le Front de Libération Nationale (FLN) aux parachutistes de l’Armée française.

Appeler cela une bataille, cependant, est un terme impropre. Ce n’était pas une guerre urbaine à grande échelle comme Stalingrad en 1942 ou le soulèvement de Pâques irlandais de 1916. Il n’y a pas eu de combat soutenu de rue en rue. La confrontation a plutôt pris la forme de courtes rafales de combats rapprochés, entrecoupées de bombardements de civils du côté du FLN et de rafles massives et de tortures du côté français. Au cœur de cettela violence était une lutte: pour le contrôle de la population musulmane de la capitale.

Similairementil y a un débat sur le point de départ exact. La « Bataille d’Alger » a-t-elle commencé par la guillotination de deux prisonniers du FLN, Ahmed Zabana et Abdelkader Ferradj, le 19 juin 1956, ce qui a incité les membres du FLN à répondre par vingt-et-une attaques à Alger, faisant dix morts ?

Est-ce qu’il a commencé avec des éléments obscurs de la police française qui ont posé une bombe dans la Casbah très peuplée le 10 août 1956, tuant jusqu’à soixante-dix personnes, ce qui a poussé le FLN à faire exploser des bombes dans deux cafés français bondés du centre-ville le 30 septembre?

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Ruines de la Casbah après son explosion par des parachutistes. Wikipédia / Sabre 68.. Tous droits réservés.

Ou Cela a-t-il commencé le 7 janvier 1957 lorsque les autorités civiles françaises, en perte de maintien de l’ordre, ont remis les pouvoirs de police aux parachutistes français commandés par le général Jacques Massu ?

Dans le passé, il y a un sens plus clair d’un point final : le 7 octobre 1957, lorsque le dernier dirigeant du FLN, Ali Ammar alias Ali la Pointe, a été acculé dans une maison sûre près du sommet de la Casbah – la première séquence du film de Gillo Pontecorvo. Refusant de se rendre, il a été fait exploser par des experts en bombes parachutistes français. Puis, dans les décombres, les parachutistes exhumèrent le cadavre d’Ali la Pointe comme preuve physique de la victoire militaire française.

Avec nous ou contre nous

Les origines de la « Bataille d’Alger  » doivent remonter à l’histoire du nationalisme algérien. Le 1er novembre 1954, le FLN lance une série d’attentats à la bombe dans toute l’Algérie. Une nouvelle organisation totalement inconnue, formée clandestinement quelques semaines avant hand, les tracts du FLN, retrouvés éparpillés dans la campagne reculée, étaient intransigeants. Faisant référence aux divisions au sein du mouvement nationaliste sans en nommer les protagonistes, la Déclaration du 1er novembre 1954 soulignait que celles-ci appartenaient au passé. Chaque Algérien, quelles que soient ses allégeances politiques antérieures, a désormais un devoir : se rallier au FLN, la nouvelle incarnation de la nation algérienne. De manière significative, la violence a été au centre de la révolution et ceux qui ont placé leurs espoirs dans une solution gradualiste ont été dénoncés comme des « traîtres » et des « réformistes ». La violence du FLN a été enfermée dans des absolutes. Il n’y avait pas de troisième voie. Les Algériens ne pouvaient être que foror contre le FLN.

Le FLN avait donc deux cibles interconnectées. Par une action militaire immédiate, il voulait renverser la domination coloniale française, en place depuis 1830. Mais il voulait aussi prédominer sur tous les autres rivaux politiques. Maintenant, le FLN seul pouvait donner des ordres et les partis existants – le Parti Communiste Algérien (PCA), l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) et le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) – ont été invités à se dissoudre et à rejoindre le FLN sous peine de représailles.

Par la violence, le FLN espérait déclencher une révolte de masse. Cela ne s’est pas produit. Pendant les dix premiers mois, le conflit a été limité à l’est rural. Algérie. Par la suite, il s’étendit au reste du pays et, à l’été 1956, l’Algérie était aux prises avec un conflit de grande ampleur alors que le FLN était confronté à un gouvernement de gauche du centre dirigé par le Parti socialiste, le Front républicain, qui espérait réprimer le soulèvement par une intensification dramatique du conflit. Cela comprenait l’octroi de pouvoirs spéciaux de répression à l’armée et une augmentation des effectifs, renforcée par l’appel de réservistes, qui est passé à 400 000.

Une dernière poussée

Parce point, la figure dominante du FLN était le vieux AbbaneRamdane de trente-six ans. Prisonnier politique en novembre 1954, Abbane Ramdane rejoint le FLN à sa libération au début de 1955 et prend rapidement la direction du FLN interne ; une position qui l’oppose aux dirigeants externes basés au Caire qui, selon lui, n’ont pas le droit de donner des ordres car ils sont loin des dures réalités de la guerre. Abbane Ramdane a été le cerveau de la stratégie du FLN dans le lancement de la « Bataille d’Alger ». Avec un vote de l’ONU sur l’Algérie imminent au début de 1957, il croyait que la victoire était à la portée du FLN. Il était convaincu que la France avait perdrela volonté politique de se battre. Tout ce qu’il fallait, a-t-il soutenu, c’était un dernier sursaut qui forcerait les Français à négocier. C’était la pensée derrière la grève de huit jours, programmée avant le vote de l’ONU. C’était aussi la pensée derrière la campagne du terrorisme urbain. La violence continue à Alger, centre du pouvoir français, montrerait que la lutte du FLN n’était pas seulement des poches de résistance dans les montagnes, mais un mouvement de masse soutenu par les villes et les villes. Cela créerait un climat de panique qui saperait la capacité française à rester en Algérie. Comme le disait une directive du FLN : « Une bombe causant souvent la mort de personnes et en blessant cinquante autres équivaut sur le plan psychologique à la perte d’un bataillon français. » Enfin, en lançant une telle violence coordonnée, Abbane Ramdane voulait montrer que c’était le FLN, et non le rivalMouvement National algérien dirigé par le vétéran nationaliste algérien MessaliHadj, qui était le véritable représentant de la nation algérienne, et la seule force politique avec laquelle les Français devaient négocier,

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Abbane Ramdane.
Wikimedia Commons / Certains droits sont réservés.

Face à ce défi, le gouvernement du Front républicain a effectivement donné aux Parachutistes français les mains libres pour détruire le FLN à Alger par tous les moyens possibles et ce qui a suivi a été un cycle de violence et de contre-violence. Dans les ruelles, les caves, les égouts et les tunnels de la Casbah, les parachutistes et le FLN ont joué un jeu mortel de chasse et de chasse. L’armée a eu recours à la torture de manière systématique pour obtenir des informations faisant état de la  » disparition  » de quelque 3 024 prisonniers. Pourtant, nul doute que cette répression a renforcé le soutien au FLN. Sur la population totale de 80 000 habitants de la Casbah, entre trente et quarante pour cent de sa population masculine active a été arrêtée à un moment ou à un autre et, en vérité, cela a toujours fait partie de la stratégie du FN. En tirant le frein et en laissant les Français réagir, c’était déclencher un processus de violence qui forcerait la population algérienne à se ranger derrière le FLN. Comme l’a dit plus tard le journaliste du Monde Jean Lacouture, la France a gagné militairement mais a perdu politiquement parce que les méthodes du scrutin ont tourné l’opinion internationale contre la cause française.

Les conséquences pour le FLN étaient tout aussi importantes. La sévérité de la répression française signifiait que le dirigeantétait forcé de quitter l’Algérie. Désormais, la direction du FLN résiderait en exil. Coupée de la population et des réalités de la guerre, ses structures de pouvoir se développeront en dehors d’un pays rivalisé de luttes de pouvoir, où l’armée en est venue à prédominer sur toute forme de pouvoir civil : un fait illustré par la mort d’Abbane Ramdane aux mains d’officiers algériens au Maroc en décembre 1957.

Noir et blanc

Le film de GilloPontecorvo a été réalisé sur place en 1965. Parlant aux participants et utilisant pour la plupart des acteurs non professionnels, le film, tourné en noir et blanc granuleux, a une qualité de film d’actualité ce qui signifie qu’il est souvent confondu avec un documentaire. Une grande partie de la narration du film suit les faits décrits ci-dessus, car Pontecorvo a dépeint, de manière honnête, les effets de la violence française et du FLN. Pourtant, le film diverge également des faits. Du côté français, le colonel Mathieu, interprété avec brio par l’acteur français Jean Martin dont la position anti-guerre d’Algérie l’avait conduit à être inscrit sur la liste noire en France, est un personnage fictif, bien que clairement basé sur les deux chefs militaires actuels – le général Jacques Massu et le colonel Marcel Bigeard. Il est également très sélectif. Il n’y a rien sur le rôle des communistes algériens, qui ont fourni l’expertise de fabrication de bombes au FLN, ou au député rival, encore une force politique importante au début de 1957. De même, les divisions amères au sein du FLN sont ignorées, comme dans le cas d’Abbane Ramdane qui est considéré comme une figure historique. Au lieu de cela, Pontecorvo présente la guerre de manière unique en termes de FLN contre les parachutistes français.

Enfin, l’importance de Frantz Fanon pour Pontecorvo doit être soulignée. Né en 1925 dans l’île de la Martinique sous domination françaiseîle des Caraïbes, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, français libre, Fanon a étudié la psychologie à l’Université de Lyon à la fin des années 1940, avant d’arriver en Algérie en octobre 1953 en tant que psychiatre dans un hôpital au sud d’Alger. En 1956, Fanon démissionne lors de la Guerre d’Algérie et se rend à Tunis pour rejoindre le FLN où, dans des livres et des articles, il devient l’une des principales voix de la Révolution algérienne. Avant tout, Fanon vantait les vertus de la violence miroir, justifiant cela comme un acte libératoire contre la violence inhérente à la domination coloniale. Fanon est mort en 1961, mais ses arguments infusent le film de Pontecorvo, en particulier la représentation du rôle des femmes dans les attentats à la bombe contre les cafés français. Cette séquence remarquable a été encadrée par le livre de Fanon, L’An cinq de la révolution algérienne (publié en anglais sous le titre A DyingColonialism), publié en 1959, qui soulignait comment les actions de ces femmes algériennes, soit en utilisant le voile pour cacher des armes, soit en le jetant pour se passer elles-mêmes dans une fonction de leurre en tant que femmes françaises sexuellement disponibles, contestaient les valeurs traditionnelles.

Pourtant, en termes de compréhension de la guerre entre 1954 et 1962 dans son ensemble, cette référence à Fanon peut conduire à des malentendus, surtout si l’on considère qu’elle encapsule l’expérience historique algérienne. Les femmes bombardières algériennes de la « Bataille d’Alger » étaient urbaines, éduquées et plus bourgeoises; c’est-à-dire une minorité, car la plupart des femmes impliquées dans la lutte étaient rurales et, dans de nombreux cas, analphabètes. De même, jusqu’aux derniers mois du conflit en 1962, la  » bataille d’Alger  » fut le seul moment d’une guérilla urbaine soutenue. Au lieu de cela, la guerre d’Algérie était majoritairement une guerre rurale, qui se déroulait dans les montagnes et dans les campagnes.

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Cet article fait partie du partenariat Algérie et Révolutions arabes: Passés, Présents et Futurs, financé par les Universités de Portsmouth et du Sussex. En savoir plus sur le programme de partenariats éditoriaux d’openDemocracy.

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