Un règlement de paix problématique
Après la victoire en novembre 1918, la France cherche à contrôler à long terme la Rhénanie, mais l’Allemagne anticipe une paix modérée entre égaux. Les deux pays devaient être déçus. La Grande-Bretagne et les États-Unis ont insisté pour une occupation temporaire de la Rhénanie, craignant que des conditions de paix difficiles n’alimentent le révisionnisme allemand. Cependant, le règlement sur les réparations imposé à l’Allemagne a été sévère et s’est heurté à un mélange toxique de colère et de désespoir.
Stratégie et objectifs français
Le traité de Versailles habilitait les Alliés à imposer des sanctions en cas de manquement de l’Allemagne aux conditions de paix ; dès le début, la France envisageait d’exploiter ces pouvoirs pour maintenir sa présence en Rhénanie. En mars 1921, alors que l’impasse menaçait les termes définitifs du règlement sur les réparations, les troupes françaises et belges, avec la bénédiction britannique, occupèrent Düsseldorf et les villes de Duisburg et de Ruhrort, à l’ouest de la Ruhr, pour mettre les Allemands au pas. La Ruhr, juste à l’est de la zone occupée par les Alliés, a été ciblée en raison de sa prééminence en tant que centre allemand d’extraction de charbon, de métallurgie, de génie lourd et de production d’armements.
En 1922, l’Allemagne est déchirée par une crise économique et sociale qui s’aggrave, ce qui pousse son gouvernement à suspendre le paiement en espèces des réparations en août. La France pensait que cela reflétait un schéma plus profond de mauvaise foi allemande, mais son principal allié, la Grande-Bretagne, s’est avéré peu favorable. Prise d’un sentiment d’abandon, la France obtient le soutien de la Belgique et de l’Italie pour invoquer les clauses de sanctions de Versailles. Le Premier ministre français, Raymond Poincaré (1860-1934), a annoncé que la France occuperait le district de la Ruhr pour obtenir des réparations. Cependant, cela masquait l’énormité de ses ambitions, que « d’ici mars ou avril l’Allemagne tombera en morceaux » et qu’ils « ne discutaient plus de paiements, la France devait élaborer un plan politique. » La Belgique était déterminée à obtenir sa part de réparations, mais sa participation à l’opération reflétait également une volonté de contenir les ambitions françaises alors que l’occupation commençait le 11 janvier 1923.
La France a poursuivi son programme sans remords. Les fonctionnaires allemands et leurs familles ont été chassés de la région, déplacés par de nouvelles institutions qui ont répondu à Paris. L’administration et la fiscalité des industries minières et métallurgiques ont été transférées à la Mission de contrôle interalliée des Usines et des Mines (MICUM) et le droit militaire a été imposé. La frontière entre la Ruhr et l’Allemagne a été scellée et une nouvelle monnaie soutenue par la France a finalement été proposée pour le Rhin et la Ruhr. En octobre 1923, la France et la Belgique soutiennent également une insurrection séparatiste avortée en Rhénanie.
Résistance passive allemande
Le gouvernement allemand de Wilhelm Cuno (1876-1933) a lutté pour résoudre la crise de la Ruhr. La résistance passive contre l’occupation franco-belge était majoritairement non violente. Il a pris naissance dans le mouvement ouvrier républicain organisé de la Ruhr, avant de s’étendre aux fonctionnaires et au monde des affaires, bien que quelques aventuriers paramilitaires de droite aient mené une campagne plus violente qui a provoqué de féroces représailles françaises et belges.
Même la défiance pacifique a coûté très cher car les Alliés ont imposé un blocus qui a décimé l’économie de la Ruhr et perturbé les approvisionnements alimentaires. 300 000 enfants affamés ont été évacués vers des fermes familiales en Allemagne inoccupée, tandis que dans la Ruhr même, les résistants et les occupants se sont engagés dans une bataille d’usure. Les femmes ont payé un lourd tribut à la désintégration de la vie ordonnée et elles ont été harcelées au hasard par les militaires d’occupation.
La chute des recettes fiscales et le coût de la souscription d’usines et de mines inopérantes ont détruit les finances publiques et la monnaie de l’Allemagne. Des troubles politiques et sociaux ont éclaté dans tout le pays, avec des émeutes de la faim qui ont balayé la Ruhr, ainsi que des rumeurs de collaboration avec les occupants. Gustav Stresemann (1878-1929) devint chancelier en août 1923 et mit fin à la résistance passive le 26 septembre.
Échec mutuel et genèse du rapprochement franco-allemand
Le gouvernement de Stresemann a réussi à stabiliser sa monnaie sans valeur, mais au prix d’une déflation brutale et d’un chômage de masse. La France, semble-t-il brièvement, a triomphé, mais elle a tiré peu de bénéfices matériels de l’occupation de la Ruhr et, à mesure que ses propres finances se détérioraient, elle s’est tournée vers ses alliés pour obtenir de l’aide. Cela a un prix, car la Grande-Bretagne et l’Amérique s’opposaient autant à l’hégémonie française en Europe qu’à l’Allemagne. Les Américains ont proposé une médiation internationale de la question des réparations, à laquelle la France a accepté à contrecœur. Le rapport Dawes qui en a résulté recommandait la reprise des paiements de réparations, mais à condition que la France évacue la Ruhr et renonce à toute ingérence dans l’économie allemande.
La crise de la Ruhr favorise le passage de l’affrontement mutuel à la collaboration, les Accords de Locarno (octobre 1925) inaugurant une ère de rapprochement personnifiée par les ministres des Affaires étrangères français et allemand Aristide Briand (1862-1932) et Gustav Stresemann.
Conan Fischer, Université de St. Andrews
Éditeur de section: Emmanuel Debruyne